L’IA, le cerveau humain et l’avenir de la science ouverteEntretien avec le professeur Guillaume Dumas, chercheur en psychiatrie computationnelle et en neuro-IA sociale

Et si les ordinateurs pouvaient nous aider à comprendre l’organe même qui les a rendus possibles : le cerveau humain?

Le Dr Guillaume Dumas, chercheur à la croisée des neurosciences, de l’intelligence artificielle et de l’intelligence collective, pense que nous commençons seulement à découvrir ce que l’informatique avancée peut apporter à la recherche sur le cerveau, et ce que les sciences du cerveau peuvent, à leur tour, apprendre à l’intelligence artificielle.
Il est professeur agrégé en Psychiatrie Computationnelle à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et Directeur du laboratoire de Psychiatrie de précision et de Physiologie Sociale au centre de recherche Azrieli du CHU Sainte-Justine.

Le cerveau comme modèle pour l’IA

Le Pr Dumas explique que ses recherches reposent sur une architecture inspirée du fonctionnement cérébral, appliquant les principes du cerveau pour concevoir des systèmes d’intelligence artificielle plus performants.

« Le calcul avancé est un outil clé pour simuler aussi bien des modèles cérébraux réalistes que des architectures cognitives abstraites », explique-t-il. « Comme toute IA dépend du calcul, l’IA neuro-inspirée n’y fait pas exception. »

Grâce au calcul haute performance (HPC), les chercheurs peuvent simuler la communication entre neurones afin de tester des hypothèses sur l’apprentissage, la mémoire ou encore le comportement social. Ces avancées pourraient aider à concevoir des systèmes d’IA plus coopératifs et plus humains.

 

La puissance des esprits et des cerveaux collectifs

Au cœur des travaux de Guillaume Dumas se trouve la notion d’intelligence collective, l’idée que les groupes peuvent penser et résoudre des problèmes plus efficacement que des individus isolés.

« C’est comme une séance de remue-méninges en équipe », explique-t-il. « La diversité des esprits, des compétences et des points de vue améliore la capacité collective à résoudre les problèmes. »

Pour étudier ce phénomène, Dumas a développé une méthode appelée hyperscanning, qui enregistre simultanément l’activité cérébrale de plusieurs personnes pendant leurs interactions. Les expériences vont de l’imitation de mouvements de la main au partage d’émotions, en passant par les échanges mère-bébé ou la communication verbale et non verbale.

Ses travaux ont démontré pour la première fois que les cerveaux des individus se synchronisent lors d’une interaction sociale, une découverte qui a profondément transformé la compréhension scientifique du lien humain.

« Lorsque nous avons démontré, en 2010, l’émergence d’une synchronisation inter-cérébrale lors d’interactions sociales, beaucoup n’y croyaient pas », se souvient-il. « Aujourd’hui, cette étude compte parmi les plus citées du domaine. »

Des inégalités de calcul dans la recherche scientifique

Si ces percées reposent sur des outils de calcul puissants, Dumas avertit que l’accès à ces ressources reste profondément inégal.

« Sans accès au calcul haute performance, il est impossible d’avancer aussi vite que les laboratoires bien financés ou l’industrie », souligne-t-il. « C’est un véritable défi pour les jeunes chercheurs. »

Science ouverte et bien commun

Pour lui, la solution passe par la science ouverte, un principe qu’il défend depuis de nombreuses années.

« Pour moi, “science ouverte” est presque un pléonasme. La science devrait être ouverte par nature », affirme-t-il. « Le partage des données est essentiel à la recherche scientifique, notamment en neurosciences. »

Dumas estime que les fruits de la recherche doivent être en open source et accessibles à tous, afin que les découvertes profitent à la collectivité plutôt qu’à quelques grandes entreprises ou institutions privilégiées.

C’est précisément la vision de Computing for Humanity : faire du calcul avancé un bien public, accessible à tous ceux qui font progresser la science au service de l’humanité.

Éthique, écologie et éducation

Interrogé sur les enjeux éthiques des neurosciences computationnelles, Dumas adopte une position nuancée.

« Nous sommes encore loin des crises éthiques observées dans l’IA industrielle », explique-t-il. « Les principaux enjeux aujourd’hui concernent la confidentialité des données et l’impact écologique ; il faut veiller à ce que nos simulations ne gaspillent pas d’énergie. »

Il ajoute que, bien que le public craigne souvent l’émergence d’une “conscience artificielle”, ces inquiétudes sont pour l’instant prématurées.

« Le problème ne vient pas des modèles eux-mêmes. C’est plutôt que les gens ont tendance à attribuer spontanément une conscience à tout ce qui se comporte comme un humain. Les entreprises technologiques exploitent cette tendance, et aujourd’hui, beaucoup de personnes s’attachent à des chatbots d’IA. Mais selon moi, c’est davantage un problème humain qu’un problème de modèle », précise-t-il. « L’éducation et l’esprit critique sont essentiels. »

Vers un futur où le calcul devient une ressource publique

Lorsqu’on lui demande ce qui pourrait le plus accélérer la recherche en neurosciences, Dumas répond sans hésiter :

« Si le calcul était traité comme une ressource publique universelle, nous verrions une découverte plus rapide de biomarqueurs, de meilleurs modèles de maladies et une collaboration accrue entre disciplines. »

Il imagine un avenir où calcul, stockage et expertise seraient réunis dans une même infrastructure, formant une base commune pour le progrès scientifique.

Pourquoi c’est important

Chez Computing for Humanity, nous croyons que le calcul avancé ne devrait pas être un privilège, mais une ressource partagée, au service de l’innovation pour tous.

Des chercheurs comme le Pr Guillaume Dumas nous rappellent que comprendre le cerveau, améliorer la santé et faire progresser l’intelligence artificielle sont des objectifs étroitement liés, et qu’un accès équitable aux ressources de calcul est la clé pour y parvenir.

C’est dans cette optique que des plateformes à but non lucratif comme myresearchcloud.ca, lancée par Computing for Humanity, s’efforcent de rééquilibrer le paysage de la recherche en offrant un accès abordable et ouvert aux chercheurs indépendants et aux scientifiques citoyens dépourvus de soutien institutionnel.

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